Le Silence au Cénacle des Gris

Les deux serviteurs cessèrent instantanément leur danse morbide dés l’instant où Elensis s’était rendue visible, ils la fixaient désormais avec des yeux habités par une lueur rouge. Mutiques, immobiles, ils caressaient tendrement leurs orbes et Feliwen, à en juger par les mouvements de sa cape, détaillait l’Ange de la tête au pied. Elle était… « différente », cela s’expliquait sûrement par l’isolement, le calme de cette citadelle. Feliwen inspira longuement mais ses lèvres restèrent scellées. Elle pouvait entendre les pensées, elle pouvait parler si elle le souhaitait, mais elle n’en faisait rien. Elle faisait don de sa parole aux mourants, ce n’était pas l’heure d’Elensis, elle était encore bien loin … Mais étonnement l’angelle se surprit à penser que ce fait était ..dommage, qu’elle aurait aimé la côtoyer quelque temps de plus.

Elle prit au mot l’invitation d’Elensis et pénétra donc dans la citée, suivit de prés par ses deux petites créatures. L’être angélique ne cessant de fixer le sol, ne regardant pas devant, comme naviguant entre deux mondes, les murs n’avaient pas de consistance et elle se guidait aux sons l’entourant. Quand enfin le murmure des âmes devint moins prenant, elle releva le visage et réajusta son long manteau, laissant une place à son regard grisé. Elensis pouvait à nouveau discerner entre ses pensées, celles ne lui appartenant pas.

« Il est possible qu’un intrus se dissimule entre vos murs, je ne suis pas ici pour vous enlever aux votres, ni même pour votre propre vie. Je vous demanderais simplement de ne pas vous interposer et de me laisser aller et venir librement en ces lieux. Peut être n’est il plus ici, mais je dois m’en assurer, un être de trop foule le sol du monde des vivants, il est temps pour lui de retourner dans les limbes »

Elle en avait déjà trop dit. Elle refusait de s’étendre sur la manière dont le scélérat lui avait échappé, c’était une première, on n’échappait jamais à la mort. Elle allait et venait, fauchant les âmes stagnantes, elle n’était pas régie par les lois du Très Haut et ne s’était pas accordée les faveurs de son peuple, encore moins celle des humains quant aux démons, n’en parlons pas. Elle était seule, accompagnée seulement de deux êtres ne voulant pas voir un jour le soleil se coucher.

« Puis je où avez-vous une objection ? »

- Dame Elensis est peut-être trop permissive. Je sais que nos visites sont rares, mais tout de même. Je vous ai vu l'inviter à entrer dans la cité et j'ai décidé de venir.

L'Etre de Lumière se tourna face aux trois créatures, et fixa intensément celle qui semblait diriger les deux autres. Celle qui semblait se prénommer Feliwen. Il aurait voulu pénétrer son esprit et le sonder aussi profondément que possible. Le fouiller sans vergogne, sans honte et en sortir tous les secrets les plus honteux, de ceux que l'on préfère oublier. Mais, en vain. Ce fut une barrière qu'il rencontra. Une sorte de sphère psychique qu'il heurta de plein fouet et qui le décontenança.
Dans un souffle, et pour lui même

- Surprenante créature...

Toujours de ses yeux, deux orbes rougeoyantes, il détailla longuement l'apparence extérieure de Feliwen, se délectant rapidement de ses formes, et de son visage.
Lorsqu'il parla, sa voix était grave et lente, comme à l'accoutumée:

- Délicieuse créature, si j'ai bien entendu ce qu'a dit Dame Elensis, un étranger trône parmi nous ? C'est intéressant.
Intéressant car cet être est parvenu à se dissimuler dans nos murs avec une discrétion digne des plus grands. Aucun de nous ne semble l'avoir perçu.

Qui êtes-vous exactement ? Ou plutôt ; qu'êtes-vous ?

Etrange atmosphère ; magique atmosphère. L'aura des étrangers s'étend et se répand à travers la cité, recouvrant celle de Marcange. Comme des fantômes, les émanations grandissent progressivement. Le vent, doux, est protecteur au sein de la cité. Les auras des étrangers sont seulement stoppées dans leur lente progression.

Toute l’attention qu’elle portait sur la maîtresse des Lieux se reporta sur un être désarmant, dès les premières secondes, il avait tenté de briser les barrières protégeant l’âme, l’esprit, l’essence de la jeune femme, dans d’autres circonstances, elle ne l’aurait pas toléré, mais en cet instant, elle en avait été amusée. Il était rare qu’on lui tienne tête. En terrain inconnu, ne pouvant revendiquer clairement sa fonction sur ces terres empruntes de silence et mystère, elle se prenait au jeu. Elle marqua un long silence puis se décida à répondre à Marcange, un demi sourire arquant ses lèvres.

« Tout ce qui a un nom est voué a disparaître, vous, elle.. même ..-elle désigna les magnifiques félins blancs vers l’entrée- ces magnifiques créatures. Ni la beauté – soulignant du regard Elensis – ni vos pouvoirs – se tournant de nouveau vers Marcange – ne vous seront salvateurs. Je ne suis que la main des Ombres »

Les lèvres de Feliwen semblaient désespérément immobiles mais sa main jouant avec un long et fin bracelet arborant son poignet trahissait son agitation. Une manipulation nerveuse et rapide. Quand viendrait leur heure ? Que pouvait elle sonder d’eux ? La curiosité venait d’envahir l’esprit de la douce créature tenant un rôle si violent. Finalement, elle chassa les pensées malvenues.
Elle aurait aimé répondre avec sincérité aux interrogations d’Elensis mais l'invitation de fouler le pas du Cénacle ne l’enchantait guère. Chaque être rencontré n’avait été que sa proie. Elle choisissait, elle prenait, elle partait. Elensis n’appartenait pas à cette sphère, elle lui échappait. Cet être les ayant rejoint, à nouveau, la défiait, elle ne pourrait pas l’emporter non plus. Résister à ses plus bas instincts était probablement la plus grande souffrance à laquelle elle devait faire face car tel était son rôle. Elle se devait de rester neutre, et ne pouvait être achetée.

« La créature que je recherche a dérogé à la règle, tout simplement, il a acheté sa vie, en a sacrifié une autre, a rempli son rôle, il est temps pour lui de rejoindre sa tombe. C’est aussi simple que cela. Je n’aurais pas la prétention d’affirmer qu'il s’agisse de l’un des votres, je ne pourrais affirmer qu’il se situe entre vos murs à cette heure. »

Il n’y aurait pas de négociation, elle ne pourrait forcer le passage et si elle le tentait, ils ne fléchiraient pas si facilement, ils n’étaient plus des anges à la naïveté palpable.

« Si cela vous semble préférable, je vous suivrais, vous n’aurez qu’à me conter ce que vous savez de votre clan, je pourrais dés lors vous rassurez sur leur innocence ou .. vous affrontez, cela vous convient- il ? »

N’attendant pas réellement de réponse, elle s’avança, plongeant son regard dans celui de Marcange, le défiant et pénétrant ses pensées, là où il avait échoué. Sans pour autant glisser dans son intimité, elle se contenta de laisser raisonner dans son esprit un « ne jouez pas à cela avec moi ». Elle lui ouvrait la porte à un défi purement psychique sentant les capacités l’habitant. Les deux créatures, elles, ne se laissèrent pas distraire par la flopée d’énergie fusant de par et d’autre et elles suivirent, boitant, leur maîtresse.

Se rappelant alors certaines règles de fair play et de politesse, après quelques mètres et fortement ennuyée, Feliwen ralentit le pas pour finalement s’arrêter, attendant qu’Elensis la guide.

Etrange et fascinante créature de l'ombre.
Sans difficulté aucune, Feliwen viola à son tour l'esprit, pourtant si tourmenté, de Marcange. Elle navigua entre vapeurs noires et sombres mirages qui demeuraient là uniquement dans le but de damner l'Etre de Lumière.
Il esquissa un sourire, à peine perceptible, emprunt d'orgueil et de moqueries.

- L'être disparaît, mais le nom peut demeurer dans le temps, à tout jamais. Même le Phénix porte un nom, même vous.
Mais soit, serviteur des Ombres, voyons ce que vous avez à nous raconter.

Intrigué, car intrigante Feliwen.
Marcange s'amusa de sa subite curiosité à l'égard de cette créature où planait un voile de mystère.
Tout en elle suintait l'étrange. Ses lèvres restaient inexorablement closes ; elle semblait posséder un pouvoir gigantesque, ou du moins impressionnant ; elle ne craignait personne ici et tout était à craindre d'elle.
Le déchu regarda rapidement Elensis et lui adressa un signe de la tête, tandis que Feliwen débutait sa progression, comme glissant sur le sol.

-Nous ne pouvons la laisser entrer ainsi dans le Cénacle.

Ses yeux glissèrent sur Feliwen

- Je ne lui fais pas confiance elle non plus. Une fois sa besogne terminée, une nouvelle victime se présentera à elle. Et j'imagine que notre tour viendra.
Soit vous nous dites ce que vous êtes vraiment, soit vous partez.

Vos tours de passe-passe n'impressionnent que les faibles, ici, vous êtes notre proie.

A l'abri des ombres, silencieuse, une entité observait la scène avec une attention toute particulière. Une créature de petite taille, indéterminée, drapée dans une cape noire. Seuls deux yeux brillants, rouges comme le sang, étaient visibles sous la capuche sans doute trop grande pour la tête qui la portait.

Puis elle fit un pas.
Puis deux.

Elle s'approcha, d'un pas rigoureusement régulier.
Elle fit le tour de l'invitée.
Une fois.
Deux fois.

Puis, venant se poster aux côtés d'Elensis, légèrement en retrait, la créature dévoila son visage, et écarta légèrement les pans de sa robe.

Astays venait de se révéler.

Son visage, son corps... son apparence toute entière était celle d'une jeune et pâle adolescente aux formes naissantes. Petite, mince, pour ne pas dire d'une minceur maladive, elle dégageait tout de même une aura imposante, comme la brume noirâtre qui l'entourait constamment. Elle était jeune, assurément. Son corps l'était. Sa conscience l'était. Mais l'énergie qui l'habitait était séculaire, millénaire même, si elle n'était pas présente depuis l'époque de la Création.

Sa tenue était des plus simples. Un ample pantalon noir, et une brassière assortie qui laissait voir la multitude de tatouages rouges comme le sang qui parcouraient sa peau. Des tatouages qui avaient généralement pour effet de susciter le malaise. Ils ne représentaient rien de précis, et pourtant l'enchevêtrement des lignes, l'agencement des tatouages... le tout donnait une impression macabre, morbide, et suscitait généralement la peur chez ses victimes.

Ses cheveux noir corbeau encadraient un visage enfantin aux traits plutôt fins. Son regard de rubis avait plutôt tendance à susciter l'inquiétude lui aussi, ou la fascination. Plus encore lorsqu'il fixait une personne, lorsqu'il cherchait un regard avec lequel s'entremêler...

Et en cet instant présent, le regard d'Astays était fixé sur Feliwen. Elle évaluait cet être, s'imprégnait de chaque petite parcelle de son aura, sans pour autant chercher à se prendre au jeu des esprits qu'elle et Marcange pratiquaient.

Peu de personnes pouvaient se vanter d'avoir de la sorte attiré l'attention d'Astays. Il y avait eu Elensis, il y avait eu cette Archange, Aerine... et dans une moindre mesure Daireann et Miyän.

"Nous ne pouvons la laisser entrer ainsi dans le Cénacle.
Je ne lui fais pas confiance elle non plus. Une fois sa besogne terminée, une nouvelle victime se présentera à elle. Et j'imagine que notre tour viendra.
Soit vous nous dites ce que vous êtes vraiment, soit vous vous partez.

Vos tours de passe-passe n'impressionnent que les faibles, ici, vous êtes notre proie."

Les paroles de Marcange eurent un effet immédiat, dans l'attitude de l'enfant de l'Ether.

"Je ne vois pas où est le problème." lâcha-t-elle. Ses premiers mots depuis un long moment.

Puis elle fit de nouveau quelques pas, se rapprochant de Feliwen, son regard venant s'ancrer au plus profond des yeux de l'invitée.


"Je ne la connais pas. Et elle non plus ne me connait pas. Mais j'ai une certitude... elle sert le Cycle. D'une certaine façon... elle et moi avons le même Maître."

Puis l'enfant se mit à observer sa propre main. Elle avait longtemps cru être unique en ce genre. Mais elle venait de découvrir quelqu'un qui d'une certaine façon lui était similaire. Bien que son visage soit figé dans une neutralité totale, Astays était assez perturbée par cette découverte.

"Sa proie est celle qu'elle recherche, et nulle autre. Si jamais le tour de l'un de nous doit venir et qu'elle se présente à nous, que nous soyons prêts à en découdre ou non, nous ne pourrons rien y faire. Elle sert le Cycle. Elle est une exécutrice."

Elle exprimait tout cela sans pour autant en être certaine. C'était simplement le ressenti qu'elle avait. Au final, l'arrivée de Feliwen était providentielle. Peut-être Astays saurait-elle trouver en elle un modèle pour grandir...

secret

Un vent chaud, cette fois ci désagréable vint tourner autour des membres du cénacle présents, puis la voix qui jusqu’ici s’était faite douce, délicate, tentant de ne pas froisser les esprits ni de les tourmenter disparue. Un rictus déforma subitement le visage de Feliwen, un rictus témoignant d’un sang froid qu’elle contenait avec difficulté.

Un son sifflant, strident brouilla alors le silence qui s’était instauré, les lèvres de la jeune femme semblèrent se desserrer mais finalement, elle se ressaisit n’en fit rien.

« Tour de.. Passe-passe, proie ? Mais je n’ai que faire de vos pensées et vos impressions … « Marcange ? » Je n’ai rien à vous prouver, toutefois si vous cherchez à me faire connaître vos positions, votre « possible » pouvoir en ces lieux, c’est que vous semblez craindre quelque chose…alors de nous deux.. qui est la proie.. »

Puis un souffle tempétueux vint clore le débat.

« Je n’ai pas de nom, je ne suis personne, juste la représentation de ce que vous n’aimez pas, de ce que vous évitez ou fuyez à vous de choisir le terme qui vous permettra de masquer vos faiblesses. Je ne prétends à aucun pouvoir, vous m’avez tout simplement crée, vous, et tout être ayant un esprit lui permettant de douter. Et si je vous semble désagréable, vous ne pouvez que vous en prendre à vous-même. »

Ceci dit et résonnant en toute personne posant le regard sur elle, elle leva lentement l’index vers Marcange, le fixant d’un regard absent

"Je ne vois pas où est le problème."

« Astays »car malgré le peu d’empreinte dans le livre du temps que cette créature avait, il en restait néanmoins gravé un « nom ». Nulle origine, nulle fin à cette heure. Appréciant le vide planant autour de celle qu’elle jugeait d’enfant, Feliwen balaya sa fureur. La femme porta à ses lèvres ses doigts repliés au creux de sa main. Marcange ne saurait rien des pensées troublantes ayant envahis son interlocutrice.

Une autre présence l’amusa, croyait il lui avoir échappé ? Ce n’était pas plus mal d’être sous estimée, cela rendrait le jeu plus prenant. Elle eut envie de le rattraper, de dessiner des ombres dansantes dans ses pensées mais elle s’abstenue, elle n’était pas une de ces créatures dénuées de respects et criant au monde sa toute puissance, car comme l’avait elle fait comprendre, du moins l’espérait elle à Marcange, elle n’avait aucune envie de les combattre, elle avait foulé ce sol pour récupérer un bien et elle n’en démordrait pas.

Un tintement se fit entendre, contre toute attente, les deux petites créatures disparurent, presque évaporée. Le peu de luminosité apportée par les orbes sombra dans les ténèbres et elle fit demi tour lançant un dernier regard à Elensis.

« Soit. Vous ne souhaitez pas m’aider, je ne vous en blâmerais pas et si cela n’affectait pas ma tache, je vous comprendrais mais .. – la voix se fit alors malicieuse – avez-vous bien fermé toutes les portes ? Je ne demandais que des noms, voire un passé.

Aux portes du Cénacle, elle huma l’air. Dieu que le monde devenait compliqué. A des siècles de cela, il suffisait de recueillir des prières et d’effectuer sa mission. Les gens devenaient bien méfiants ..

De la fenêtre d'une tour, un ange contemplait la scène. Les ailes noires, tout comme les autres habitants, pourtant, lui disposait toujours cependant de cet aura signe d'appartenance à la Nation.
Il regardait une nouvelle arrivée qui provoquait un sacré remue - ménage visiblement.

Le visage impassible Alighieri faisait défiler une liste de noms et de traits. Il lui semblait avoir déjà vu cette personne... finalement cela lui revînt, un étrange retournement visiblement... ou alors deux noms et visages semblables pour deux personnes différentes.

Peu importait sans doute. De toute façon, elle n'était pas venu le voir lui mais elle était venue chercher quelque chose ici.

"La curiosité est un vilain défaut... mais j'en ai plein d'autres pires."

Soupirant de son incroyable capacité à rechercher les emmerdes, l'ange se défenestra.

Il atterrit souplement non loin de Van et se dirigea vers le petit groupe, lançant à tous un sourire amical. Non il n'était pas parti, pas encore. Il s'inclina ensuite devant Feliwen puis ajouta à son attention:

"Alighieri, ange et rat de bibliothèque Cénaclienne, ravi de vous rencontrer."

Une arrivée spectaculaire, une entrée loin d’être discrète. Ainsi elle pouvait encore être surprise. Le destin lui avait soufflé son nom, le vent lui avait murmuré son arrivé mais aucun élément n’avait pu lui décrire à temps ce à quoi elle devait s’attendre. La tension palpable venait de dissiper, un peu lorsqu’un chat guettant sa proie venait subitement de poser le regard sur un autre jouet. Alighieri n’était pas un jouet, il cherchait à cibler quelque chose en lui mais elle-même en ignorait le contenu. Il était rare qu’un individu ne lui inspire pas plus de sensation que cela et celui qui se décrivait comme un rat de bibliothèque lui laissait cette impression.
C’était trop facile, trop paisible, et cela ne plaisait pas à l’Angèle aux ailes translucides.
Il n’attendait rien d’elle et ne lui proposait aucune réaction. Contrairement à d’autres ayant suscité chez elle de la patience, de la colère, de la réflexion, lui restait tel quel : un miroir transparent dans lequel elle ne pouvait se mirer.
Etonnement elle n’eut pas l’envie de figer ses pensées, de briser les minces frontières afin d’obtenir des réponses.

Peut être appréciait cet instant qu’elle jugeait vide de toute émotion, de toute sensation, en réalité il s’agissait simplement du calme. D’un instant tranquille.

Il n’eut pas de réponse, mais la créature ailée soutint simplement son regard lui laissant ressentir le fragile équilibre qui venait de s’instaurer, puis, subitement ses grands yeux gris le quittèrent pour fixer avec intensité l’horizon.

Qui aurait pu penser qu’une poignée de créatures volatiles viendrait compromettre une destinée, sa destinée. Ne pouvaient ils pas se contenter de se perdre ? Dans leur obstination, ils l’avaient emmenée dans l’errance. Un souffle nostalgique vint leur traduire ces douloureuses pensées tandis que qu’elle s’agenouillait pour prendre entre ses mains la corne et la plume, derniers artefacts de sa magie.

Briseurs de rêves, obstacles, embûches parsemant le chemin.. Ses rêves venaient de s’envoler à l’instant où ses deux fidèles avaient disparu.
Elle aurait pu crier, les foudroyer du regard, mais sa voix avait toujours été l’arme faucheuse de vie, elle déclarait la sentence et l’appliquait. Ils avaient emporté son honneur, ses victoires, elle ne leur ferait pas la délicatesse de s’adresser à eux de vives voix.

Il y avait une fin, il y avait un début
Chaque chose avait son heure
Des créatures erraient pour maintenir une stabilité
D’autres en défiaient les règles

Ils semblaient tous faire partie de la seconde catégorie sauf cette nouvelle présence. « Alighieri ». Il était l’instant de paix, le calme avant que la tempête ne s’abatte sur son existence, il semblait illustrer le second. A qui pouvait elle en vouloir le plus, eux pour avoir détruit ce en quoi elle croyait ? Lui pour, un instant lui avoir laisser l’impression que tout allait bien ?

Ce jour, Feliwen avait faillis à sa tache. Trop d’empathie, trop d’égards. Sa cible avait emporté avec elle des innocents. « Ils » ne pouvaient le permettre, aussi, l’aura sombre qui habitait la jeune femme se dissipa.
Seule elle pouvait comprendre, pour eux, le silence subsistait maintenant depuis de longues minutes, elle assistait impuissante à la destruction d’une vie entière de sacrifice, elle perdait la reconnaissance d’un maître.
Une larme sembla glisser sur sa joue pour s’écraser au sol, dans le monde du silence.

Elle pouvait laisser sa fureur déferler sur ces inconnus, peu importe qui se relèverait ou bien tenter de refaire ses preuves, mais l’heure n’était plus à la réflexion. Feliwen s’était, sans un mot, sans un regard éloigné du groupe et croisant les jambes,elle demeurait assise sur une souche d’arbre calcinée suppliant le vent de ne pas lui murmurer une douce folie.